Même si les parents partagent équitablement les tâches à la maison, il est fréquent que leur enfant leur fasse une telle remarque. Cela semble paradoxal, mais on peut l’expliquer par la manière dont les enfants construisent leurs références pour distinguer le masculin du féminin. En effet, ils observent la réalité, leur entourage, mais se servent aussi des représentations de la réalité (ouvrages illustrés, dessins animés, publicités, catalogues de jouets, etc.). Or ces représentations sont beaucoup plus stéréotypées que les personnes qui les entourent.

Dans la littérature enfantine, c’est bien la maman qui, tablier noué autour de la taille, fait la vaisselle à la main. Dans les publicités d’électroménager destinées aux adultes mais que l’enfant peut voir à la télévision, les hommes sont certes présents mais souvent dans le rôle d’experts qui créent la machine à laver la vaisselle ou viennent la réparer, tandis que la femme est cantonnée à un rôle d’utilisatrice. Dans les magasins de jouets, les cuisinières et dînettes sont au rayon fille. Dans les catalogues, on les retrouve dans les pages roses. Statistiquement, Lulu a donc vu beaucoup plus de mamans associées à l’activité vaisselle que de papas.

Bien sûr, le papa de l’enfant est émotionnellement plus parlant et important que tous les autres pères représentés dans les médias. Mais l’enfant ne tient pas compte de ce lien affectif: inconsciemment, il va procéder à un comptage. En voyant son père faire la vaisselle, il dira que c’est «un truc pour les mamans» parce qu’il a vu une multitude de mamans associées à cette tâche ménagère, et pas beaucoup de papas, excepté le sien.

Et comme Lulu est à un âge où il croit que ce sont les indices socioculturels, et notamment les activités exercées par une personne, qui font le sexe, il adoptera les comportements qu’il associe à son propre sexe et s’interdira à lui, ainsi qu’à son père, de faire des activités étiquetées du sexe opposé («pour les mamans»), comme celle de faire la vaisselle.

Attention toutefois à ne pas tirer des conclusions hâtives: quand un parent fait une activité étiquetée du sexe opposé, cela ne va pas traumatiser l’enfant. Lorsque Lulu dit que «la vaisselle est un truc de maman», il faut lui proposer d’autres modèles, lui dire: «Tu as déjà vu Grand-père la faire, n’est-ce pas?», «Je suis sûr·e que le papa de ton petit copain la fait aussi…», ou lui donner d’autres exemples tirés de livres pour enfants. Et, plus tard, à partir de 7 ans, il ne faudra pas hésiter à lui expliquer pourquoi, historiquement, les mères faisaient la vaisselle et se chargeaient des tâches ménagères.

C’est seulement en lui proposant d’autres modèles que l’on peut casser cet aspect statistique et faire diminuer cette surreprésentation des femmes dans les tâches ménagères comme la vaisselle. Faire varier les dessins animés, les livres pour enfants… et continuer à partager équitablement les tâches à la maison. Si l’enfant a autour de lui des modèles diversifiés, ses représentations seront a fortiori plus diversifiées.