Filles et garçons ne font effectivement pas les mêmes choix d’orientation scolaire, choix qui influent sur le type de carrière professionnelle qui s’ouvre à eux. Les professions scientifiques et techniques restent ainsi un bastion masculin. Les domaines de l’ingénierie, des sciences économiques et de l’industrie sont investis en majorité par des hommes, et ce de la formation la plus élémentaire (maçon ou mécanicien) à la plus élevée (architecte ou ingénieur). À l’inverse, les domaines plus littéraires, touchant à la communication, au service (du service à la personne, avec la profession d’infirmière ou d’aide-soignante, aux soins esthétiques, comme coiffeuse ou esthéticienne), à l’enseignement et aux sciences humaines et sociales, sont réservés aux femmes.

Cette séparation sexuée du monde professionnel fait écho à la scission opérée par les magasins de jouets en termes de métiers proposés aux petites filles et petits garçons par l’intermédiaire des jeux. Caricaturalement, on retrouve les hommes aux côtés des machines, de la production, et les femmes du côté du care, de l’humain. Et cette sexuation du monde du travail est encore plus marquée lorsque le niveau d’études pour exercer une profession est moindre: moins le métier demande de qualifications, plus cette ségrégation par le sexe est apparente.

Cette différenciation suivant le sexe peut s’expliquer par l’âge auquel les jeunes doivent faire des choix d’orientation scolaire. Comme l’adolescence est une phase de rigidité par rapport aux codes sexués, les jeunes adolescents vont s’orienter vers des études qui les mèneront à des professions correspondant aux valeurs de leur propre sexe. Même lorsqu’un métier a une étiquette neutre en termes sexués, comme c’est le cas du domaine de la vente, des employés de commerce ou de bureau, on retrouvera une scission suivant le sexe: s’ils choisissent de s’orienter vers la vente, les garçons se tourneront ainsi vers le secteur de la micro-électronique, des ordinateurs, tandis que les filles se dirigeront vers la vente de vêtements ou l’alimentation.

Même si le monde professionnel s’est, dans son ensemble, féminisé, car les femmes, auparavant réduites à leur rôle d’épouses et de mères au foyer, ont fait une entrée massive dans le monde du travail, on peut constater que persiste un fossé sexué entre les professions. Souvent, les professions auréolées d’un prestige social certain restent masculines. Et les femmes vont exercer des métiers moins bien rémunérés.

Certes, il existe des professions qui se sont davantage féminisées que d’autres. C’est le cas des métiers de l’éducation, de la médecine (humaine ou vétérinaire) et du droit. Dans ces domaines, le nombre d’étudiantes a dépassé le nombre d’étudiants. Ainsi, dans l’enseignement, on retrouve une proportion d’enseignantes plus importante que d’enseignants. Mais ce pourcentage dépend de l’âge des élèves: plus ceux-ci sont jeunes, plus les femmes sont nombreuses (plus de 90% de femmes puéricultrices, moins de 20% de femmes professeures à l’université). De même, en médecine, les spécialités pédiatrie et gynécologie sont davantage investies par les femmes, tandis que les disciplines plus valorisées socialement, comme la neurologie ou la chirurgie, restent une forteresse masculine.

Est-ce alors parce que les professions se féminisent qu’elles perdent en prestige social? Dans le cas spécifique de l’enseignement, est-ce parce que les femmes ont investi ce domaine, notamment pour concilier vie professionnelle et vie familiale, que la profession d’instituteur a perdu en prestance? Ou est-ce parce que l’instituteur n’est plus la figure marquante à côté du maire et du curé que les femmes se sont autorisées à exercer ce métier? C’est toujours la question de la poule et de l’œuf.

Reste que l’entrée des femmes dans un domaine d’activités a souvent pour corollaire une désertion de la gent masculine dudit domaine. C’est le cas par exemple de la féminisation massive de la pratique de l’équitation et des professions qui sont associées au monde équestre. Or, une fois qu’une profession est massivement étiquetée comme féminine, il est difficile pour les hommes de s’y engager.

Toutefois, qui dit féminisation d’une profession ne signifie pas que les hommes ne peuvent l’exercer sans s’émasculer. Si le métier de «sage-femme», dont le nom même en réserve l’exercice au sexe féminin, a longtemps été juridiquement interdit aux hommes – c’est seulement en 1982 que la profession a été ouverte aux hommes en France – on voit le pourcentage d’hommes «sages-femmes» / maïeuticiens augmenter chaque année, preuve s’il en est que ce métier est compatible avec l’identité masculine. La porte leur reste ouverte et la sexuation des professions n’est pas figée dans le temps.