C’est vrai qu’il existe des bébés qui naissent chaque année de sexe indéterminé. Dans ces cas-là, les individus reproduisent-ils davantage les attitudes d’un sexe ou de l’autre? Les chromosomes et les hormones ont-ils alors plus d’influence sur l’identité sexuée de ces personnes que leur environnement socioculturel? Les hormones n’influencent-elles que le développement des organes génitaux ou ont-elles également un poids sur le comportement, jouant sur le degré d’activité et d’agressivité des individus?

Il est difficile de répondre catégoriquement à ces questions et de démêler l’influence biologique (sexe chromosomique + hormones) de l’influence socioculturelle (sexe assigné à la naissance et éducation). Mais quelques études menées sur les anomalies génétiques et sur les anomalies hormonales permettent de mettre en évidence que, bien plus que les chromosomes ou les hormones, c’est le sexe que l’on projette sur l’enfant qui établit son identité sexuée, le fait qu’il se sente fille ou garçon.

Les anomalies génétiques

Le syndrome XXY, dit de Klinefelter

Ces enfants naissent souvent avec des organes génitaux masculins atrophiés. Ils vont être identifiés à la naissance comme des garçons et construire une identité sexuée masculine. À l’adolescence, on va constater une influence au niveau des caractères sexuels secondaires: en plus d’être stériles, ces garçons seront plus longilignes, leur musculature sera peu développée, tout comme leur pénis.

Les recherches ont mis en évidence que ces hommes XXY manifestent moins de comportements dits masculins que ceux de sexe chromosomique XY. Ils sont ainsi moins attirés par les sports d’équipe. La première interprétation a été d’attribuer cette faible attirance pour des activités masculines à la présence du chromosome X supplémentaire. Mais actuellement, on en fait aussi une lecture inverse: ne serait-ce pas en raison de l’atrophie de leur appareil génital et du faible développement de leur musculature que ces jeunes hommes se tiennent à l’écart des sports collectifs, car il leur est difficile d’assumer la nudité dans les vestiaires collectifs et les comparaisons sur la taille de leur phallus? Ne s’agirait-il pas d’une stratégie d’évitement plutôt que d’un phénomène génétique?

Le syndrome XYY

L’enfant naît avec un appareil génital masculin et le développement anatomique est normal. Pourtant, dans les années 1950, on a appelé ce chromosome Y supplémentaire le chromosome du crime, car des recherches auraient révélé que les hommes XYY avaient des comportements plus violents et agressifs que les XY. Sauf que ces études ont été menées sur des individus en prison (tout simplement parce qu’à cette époque il était plus facile de mener des recherches sur la population carcérale) et non sur le tout-venant et que les résultats, peu représentatifs, ont été généralisés. Lorsqu’on a reproduit plus récemment ces études sur la population lambda et comparé les XY aux XYY, cette différence de niveau d’agressivité n’a pas été généralisée.

Les anomalies hormonales

Les individus XX qui naissent avec un appareil génital extérieur soit partiellement soit totalement masculin

Ces fœtus ont reçu davantage d’hormones masculines (AMH et testostérone), ce qui a provoqué le développement d’organes sexuels externes, voire internes, masculins, alors que leur sexe chromosomique est féminin.

Deux cas de figure se présentent à la naissance: soit le développement de l’appareil génital externe masculin est incomplet et l’enfant est alors identifié comme une fille, qui grandira donc en développant une identité sexuée de fille; soit les organes sexuels externes sont totalement masculins et l’enfant est identifié comme un garçon et développera alors une identité sexuée de garçon.

Des études ont ainsi été réalisées sur des filles atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales, dont les organes génitaux externes à la naissance s’apparentent à un pénis en raison de la production par le fœtus de forts niveaux d’hormones androgènes. De nos jours, cette pathologie est détectée dès la naissance et peut être contrôlée (diminution de la pilosité, de la raucité de la voix et des autres manifestations de virilisation) par des apports réguliers d’hormones.

Toutefois, en grandissant, ces jeunes filles ont beau développer une identité sexuée de fille, étant donné qu’elles ont été identifiées à la naissance comme telles, il semble qu’elles se comportent de manière plus masculine que leurs sœurs qui ne sont pas atteintes de la même maladie. Elles seraient ainsi plus agressives, plus actives sur le plan physique, passeraient plus de temps à jouer avec les garçons et préfèreraient les activités masculines. Ces conduites «viriles» s’expliquent-elles alors par le fait que le fœtus ait baigné dans des hormones mâles? Sont-elles une preuve de l’influence des hormones mâles dans l’adoption de certains comportements masculins?

Peut-être que oui. Mais on pourrait aussi répondre par la négative, car cette pathologie génétique qu’est l’hyperplasie congénitale des surrénales semble n’avoir aucune influence sur les aptitudes cognitives comme le langage et le raisonnement spatial. Si les parents, connaissant la maladie de leurs filles, les ont davantage autorisées à disposer de jeux masculins, les attitudes masculines de ces jeunes filles ne pourraient-elles pas plutôt résulter de l’influence de l’éducation?

Les individus XY qui naissent soit avec un appareil génital masculin atrophié, soit avec des organes sexuels complètement féminins

Ce sont des individus dont les tissus sont insensibles aux androgènes (hormones mâles). Donc le bébé peut naître avec un appareil génital masculin atrophié ou des organes sexuels complètement féminins. En fonction de l’atrophie du pénis, le bébé peut être identifié comme une fille à la naissance ou déclaré comme un garçon.

Pour ceux que l’on déclare comme des garçons, les recherches mettent en évidence que ces individus manifestent peu d’intérêt pour les activités et les sports dits masculins. Est-ce parce que leurs tissus sont insensibles aux hormones mâles ou bien parce qu’ils suivent une stratégie d’évitement des vestiaires collectifs, où ils ne seraient pas virilement à leur avantage? Difficile de trancher entre les deux interprétations, qui ont pourtant deux origines totalement différentes: l’influence biologique d’un côté, l’influence socioculturelle de l’autre. On peut du reste souligner que certaines influences sont plutôt mises en avant en fonction des époques, des chercheurs, des financements des recherches, etc.

Une chose est néanmoins actuellement plutôt acceptée par tous: l’identité sexuée d’un enfant se forge en fonction de l’assignation de son sexe. L’enfant est d’abord un garçon ou une fille dans la tête de l’autre avant d’en être pleinement conscient pour lui-même. Comment en est-on arrivé à cette conclusion? Une étude de cas a été faite sur 105 enfants dont le sexe génétique et le sexe attribué à la naissance étaient en contradiction. 100 des 105 enfants avaient développé une identité sexuée conforme au sexe attribué à la naissance. Et seuls 5 enfants ont demandé un changement de sexe à l’âge adulte.